Bonjour, je m’appelle Gwen, j’ai 24 ans et je suis sortie de la dépression.
Mon histoire remonte à très longtemps. J’ai toujours été en désaccord avec mes émotions. Étant enfant, c’était déjà compliqué pour moi de m’exprimer là-dessus. Pour moi, les émotions n’existent que si on en parle donc si on ne dit pas ce que l’on ressent ça s’en va. Ça a marché pendant un temps, et puis plus du tout.
Mon premier épisode dépressif date de 2013, je venais de rentrer au lycée et je n’avais pas d’amis. J’en ai trouvé mais j’étais assez timide et beaucoup trop introvertie, invisible en somme. Les cours ne me plaisaient pas et ma situation familiale était plus que compliquée. Le troisième jour de lycée j’ai fait semblant d’être malade, je ne voulais plus y aller. Mon père y a cru, ma mère non. Avec le recul je pense que ce jour là mon père à senti que je n’allait pas bien, il avait trop de travail et n’avait clairement pas le temps de se pencher sur le problème. Il a toujours voulu me protéger, mais il n’avait jamais le temps. Ma mère m’a giflée, elle m’a dit d’aller au lycée, que mes problèmes c’était rien, que j’étais une ingrate.
J’ai marché jusqu’au lycée les larmes aux yeux, j’avais mal à la joue, mais au fond je pense que c’était dans mon âme que j’avais le plus mal.
J’ai vécu cette journée comme si j’étais emballée dans du coton, j’en avais vraiment assez. Le soir quand je suis rentrée, il n’y avait personne à la maison, personne ne m’attendait. Je me suis réfugiée dans ma chambre et j’ai mis de la musique. Je me rappelle avec exactitude le moment de flottement que j’ai eu en me disant que disparaître serait sûrement comme une sorte de répit au fond, personne ne me regretterait et je pourrais enfin être tranquille. Et là, ma musique s’est coupée, je venais de recevoir un message. Je n’ai jamais remercié la personne qui m’a écrit ce jour-là, c’est elle qui m’a sauvée. Je ne connaissais ni le numéro ni l’inconnu qui venait de me l’envoyer. La seule chose qu’il m’a dit c’est qu’il était dans ma classe et qu’il me trouvait mignonne. Le regain de vie que j’ai reçu à ce moment-là m’a ensuite aidé à continuer à aller au lycée, à parler à d’autres gens. Je ne parlais de ce que je ressentais qu’à cette personne mais c’était suffisant. Quelqu’un m’avait vu. Et j’ai grandi avec lui, comme deux petites fleurs côte à côte qui pousseraient sur une vallée en Bretagne.
Avant de m’en sortir, je pensais avoir toujours été bien entourée. C’était pas vraiment le cas. Plus ça va, plus je me rends compte à quel point j’avais tendance à mettre les gens sur un piédestal. Ce n’est pas quelque chose de très rare chez les gens ayant subi des maltraitances. La moindre personne qui me portait de l’attention devenait ma seule source de préoccupation.
Je crois énormément aux signes et ce jour là on m’en avait envoyé un énorme.
J’ai fini ma seconde, j’ai redoublé, j’étais victime de harcèlement et je n’étais vraiment pas intéressée par les cours. C’était vraiment un coup dur pour mon père, j’avais toujours été bonne élève pourtant.
Ma deuxième seconde c’était pour moi l’occasion de faire table rase du passé et recommencer sur une page blanche. Mon meilleur ami était toujours au lycée, mon ange gardien était parti mais mes amis étaient avec moi. J’ai commencé une nouvelle matière : l’art visuel. Cette façon d’évacuer grâce à la créativité m’aidait beaucoup. J’ai retenu une phrase qu’on m’a dit un jour alors que j’avais fais un dessin très sombre :
Tu arrives à rendre belle la noirceur
Cette année-là m’a aussi permis de rencontrer plus de gens, de me sociabiliser. Ma situation familiale ne faisait qu’empirer, j’étais dans l’âge rebelle, souvent je répondais. La seule chose à laquelle je ne pouvais pas répondre c’était les coups. Mais j’avais un échappatoire.
C’est aussi à ce moment précis de ma vie que j’ai eu de plus en plus peur du noir. Je dormais le volet ouvert mais la porte fermée. J’écoutais les pas aller et venir dans le couloir, je ne dormais plus beaucoup. C’est là qu’un autre ange gardien est arrivé sur ma route, le soir je n’étais jamais seule et j’arrivais à m’endormir.
Le lycée n’était plus aussi compliqué qu’avant, je n’avais plus peur d’y aller, j’avais peur de rentrer chez moi. Avec le recul je me rends aussi compte qu’on cherche toujours un endroit quand on veut se sentir en sécurité, moi j’avais mes anges gardiens. Ma deuxième année de seconde s’est bien terminée, j’ai donc pu partir en première littéraire. J’avais très peu d’amis mais ça allait.
L’été arrivant, on faisait énormément de fêtes et d’après midi entre amis. Je commençais à vraiment vivre. Arrivée en première j’avais plein d’amis, trop d’amis peut-être. J’ai commencé le cinéma et au deuxième cours je savais que c’était ça que je voulais faire : écrire et réaliser des films.
Je passais de moins en moins de temps chez moi. Quand je pouvais je rentrais tard. J’allais tout le temps en soirée.
On a fêté mon anniversaire un week-end magnifique de mai, c’était simple mais à la fois exceptionnel. C’était le festival de cinéma du lycée, on est tous allés dans un bar le soir et on a fêté ça comme si on célébrait la coupe du monde, on célébrait aussi mes 18 ans, ma vie d’adulte. Rien n’avait été planifié, tout s’est fait naturellement. Je suis quelqu’un de très attachée aux symboles, je voulais que ce souvenir demeure intact.
C’était à la fois simple et magique. Je n’ai plus jamais fêter mon anniversaire de cette façon.
On est souvent retourné dans cet endroit, puis de moins en moins nombreux, de moins en moins souvent. Je suis retourné devant le bar la dernière fois que je suis revenue là où j’ai grandi, il avait fermé.
Je n’ai pas énormément de souvenir de la première si ce n’est ce week end, la terminale par contre je m’en rappelle comme si c’était hier. J’avais pris une deuxième option cinéma et j’avais décidé de créer pour de vrai, j’ai écrit la plus belle chose que je pouvais, 3 mois d’écriture, 26 heures de tournage, 3 mois de montage et une vingtaine de personnes plus tard mon projet de bac était fini, ça reste à ce jour la chose dont je suis le plus fière.
Je n’ai jamais pu aller en école de cinéma, j’ai mis du temps à m’en remettre.
Ma mère nous a abandonnés, je suis partie de chez moi et j’ai commencé à faire le tour de la France. J’ai mis fin à la plus longue et complexe relation amoureuse que je n’ai jamais eu.
C’est à ce moment-là que mon deuxième épisode dépressif a commencé. Mon seul ange gardien à cette période c’était ma tante et elle n’allait pas bien. Je me suis rarement sentie aussi seule.
Le monde du travail c’est super intimidant quand on est jeune, encore plus quand on est seul. Mais j’ai été accueillie à bras ouvert par cette nouvelle famille de métier. L’expérience du travail est très importante, mais celle de la vie on l’acquiert grâce aux autres.
Il y avait un certain fossé entre nous tous, mais nous étions là pour la même chose. Mon âme sœur m’a appris à m’habiller comme une fille, je lui ai appris à faire une machine. Nous avons traversé 2 mois très intenses et nous nous sommes toutes les deux retrouvées dans le sud.
Le sud me faisait rêver, les gens moins. Au travail c’était compliqué, étant assez jeune j’avais énormément de désaccord avec mes collègues à cause de mes réactions. Ça ne se passait pas super bien. Mon père est tombé malade, et les gens autour de moi ne voulaient pas comprendre.
Mon âme sœur était toujours là, mais je me suis emmurée. Je ne voyais qu’elle, mes amis ne m’écrivaient plus, je ne leur écrivais plus non plus. En y repensant, l’idée de mettre les gens sur un piédestal est bien imagée ici, je leur en ai voulu à tous, énormément. Mais la maturité c’est aussi comprendre que parfois, prendre des chemins différents ce n’est pas un souci. J’étais restée coincée dans une époque de laquelle tout le monde était sorti.
Le ciel à décidé un jour de mettre la plus belle chose qui me soit arrivée sur ma route, c’était le bon moment. Ce 9 avril 2017 sur la place De Gaulle d’Antibes, je me suis retrouvée face à une évidence : je veux partager ma vie avec cette personne. Les vieux films romantiques de Noël ont au moins ça de vrai, les coups de foudre existent.
Il y a quelque chose de touchant lorsque je me dis que j’ai vécu toutes mes premières fois avec lui, il m’a appris à aimer la vie, je lui ai appris à s’ouvrir un peu.
Il était là à chaque instant. Même le soir ou le médecin de mon père m’a téléphoné pour me dire qu’il allait mourir. Je me rappelle encore de ce que ce coup de téléphone m’a fait, j’avais l’impression que je ne pourrais plus jamais respirer.
Quand j’étais petite, j’aimais beaucoup les travaux où on devait faire des dissertations sur un héros. Mon héros, c’était toujours mon papa. Il est super fort, il a pas peur des monstres et il les chasse pour que je fasse de beaux rêves. Il me protège en partant combattre des méchants.
Plus tard, il est devenu mon héros parce que grâce à lui j’avais de quoi manger et dormir, parce qu’il croyait en moi peu importe mes choix, parce qu’il avait la patience de m’emmener aux urgences les soirs d’entraînement quand je me viandait, parce qu’il ne m’a jamais jugé même si j’ai aimé une fille, parce qu’il se levait très tôt le matin mais qu’il avait toujours du temps pour me consoler quand il était très tard et qu’il avait sommeil.
Le lendemain de ce coup de fil, mon père est devenu mon héros parce qu’il était encore en vie.
Mon monde a tourné autour de lui un long moment. Il avait toujours été là pour moi je ne pouvais pas le laisser tomber. Finalement, c’est moi que j’ai laissé tomber.
Au travail ça commençait à aller un peu mieux, j’avais énormément mûri et je voyais vraiment la vie autrement.
Le destin a commencé à mettre d’autres personnes sur ma route, une qui m’a laissée partager la plus belle nouvelle qu’une femme peut apprendre, une autre qui m’a fait rire à m’en briser les côtes, une qui partageait un monde artistique fabuleux avec moi, et un qui ne m’a jamais jugé malgré le fait que je passais ma vie à pleurer pour rien, qui me faisait sourire et rire comme personne.
Un triste jour d’août, le ciel a décidé d’emporter avec lui la seule personne qui m’aidait à tenir le coup. La seule personne dont l’absence m’a déchirée. Je m’étais toujours dit qu’un monde sans elle ne pouvait pas exister. Qu’elle serait forcément toujours là puisqu’elle me couvrait d’amour avant même que je sache marcher. Mon monde a explosé. Encore aujourd’hui quand j’en parle, j’avais l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds. Rien ne pouvait me consoler. C’est le seul enterrement où j’ai décidé d’aller. C’est la seule fois où j’ai dit adieu à quelqu’un, quelque chose que je m’étais toujours résolu à ne pas faire.
Après ça, c’est comme si j’avais été en pilote automatique. Je suis repartie en formation, mais je ne dormais plus, j’avais peur du noir et je paniquais dès qu’on éteignait la lumière. D’après ma psychologue, c’est la réaction normale à un traumatisme lié à la mort. J’avais l’impression de devenir complètement folle.
J’étais toujours avec mon âme sœur, mais en partant à cette formation j’en avais gagné 3 de plus. Il y a des gens qui promettent toujours d’être là, d’aimer et de protéger ceux qu’ils aiment, ils se contentent de le dire et éventuellement d’attendre de le montrer si ils ont le temps et l’envie. Ces filles-là, elles restaient éveillées chaque soir quand je pleurais. Elles me parlaient, laissaient la lumière allumée et attendaient même que je m’endorme avant de se coucher.
Je me suis sentie égoïste de leur avoir pris tout ce temps pour au final vouloir en finir. Mon troisième épisode dépressif venait de commencer, cette fois-ci le diagnostic était posé : je souffrais d’une dépression sévère. Cette dépression est comme le bouquet final d’un énorme feu d’artifice de tristesse, de colère et de mélancolie. J’ai plongé si profondément que je me suis laissée envelopper par cette noirceur.
Bien sûr, je n’ai jamais été seule, même si j’en avais l’impression il y avait toujours quelqu’un qui veillait sur moi et qui m’accompagnait. J’ai décidé de me faire aidé le soir où j’ai vraiment fini au fond, j’était vraiment seule, accablée par la tristesse, dans le noir.
C’est marrant les signes de la vie, c’est marrant aussi comme l’univers aime jouer avec les gens. Ce qui m’a sauvée ce soir-là, c’était un coup de téléphone. Juste ça. J’ignore aujourd’hui pourquoi j’ai décroché, sûrement l’instinct de survie quand le cerveau réalise qu’il peut cesser de fonctionner.
Je ne me pardonnerais jamais d’avoir eu l’envie de partir en laissant tous ces gens derrière moi. D’avoir pu imaginer laisser tomber la personne qui partage ma vie, a qui j’ai promis d’être à ses côtés même dans les pires moments. J’était en train de lui prendre l’occasion d’être là pour moi.
La psychiatre qui m’a prise en charge m’a diagnostiqué, s’en est suivi un long processus de rétablissement très laborieux. Jusqu’au jour où j’ai assisté à la plus belle chose qui m’ait été donnée de voir : une naissance. L’univers à mis sur ma route l’envie de vivre de nouveau, après m’avoir pris le plus précieux. Quand elle m’a regardé avec ses petits yeux noirs j’ai su : c’est pour ça que je veux vivre. C’est pour ce sentiment qui vous prend très fort dans l’estomac, et qui vous réchauffe jusqu’au cœur.
Alors je me suis reprise en main, j’ai regardé vers l’avenir au détriment de la nostalgie mélancolique que je ressentais en repensant au passé. Mon père à vidé ma chambre, j’ai tout jeté. Je ne suis pas retournée là où j’ai grandi, je n’ai plus rien à voir avec cet endroit, ce n’est plus moi.
Ce serait vous mentir que de vous dire que je m’en suis totalement sorti, ce n’est pas le cas. J’ai parfois des moments de doutes, de tristesse, de colère et d’incompréhension. Je n’ai jamais réellement eu confiance en moi, après cette étape sombre de ma vie je l’ai totalement perdu. Je sais qu’aujourd’hui la seule chose qui m’a vraiment aidé à remonter la pente c’est mon entourage. Ils sont peu, mais tous là.
J’avais moins de 10 amis au lycée, comme on aime à le dire, inutile d’être entouré d’un million de personnes si ces dernières ne vous épaulent pas.
Ce serait également mentir de dire que la dépression n’a eu aucun impact dans ma vie en général, mais elle m’a apporté les leçons nécessaires pour la continuer.
Les émotions ne sont pas des problèmes, elles sont là pour nous signifier que quelque chose ne va pas, ou que tout va très bien. La dépression éloigne également les gens.
Aujourd’hui, j’aime chaque instant de mon existence. J’apprends à vivre, j’ignorais complètement ce que c’était. J’ai des projets, un avenir, et je suis moi aussi l’ange gardien de toutes les personnes qui m’entourent. J’apprends à exprimer ce que je ressens, à aimer toujours plus fort et à être reconnaissante.
Je ne suis plus jamais seule, j’ai toujours peur du noir mais maintenant je me rappelle d’allumer la lumière.
J’ai 24 ans et je suis sortie de la dépression. Je suis guérie, et j’aime la vie.
Et toi, c’est quoi ton histoire ?